Mohamed Choukri raconte comment s'est passée la première publication, quand est venu à Tanger en 1972 Peter Owen, éditeur britannique qui connaissait Paul Bowles.

Ce dernier avait déjà traduit mes nouvelles, certaines publiées dans la revue Harper's, d'autres dans la revue Antaeus, deux revues américaines ou dans la revue britannique Transatlantica. Peter Owen avait entendu de Paul Bowles des bribes de ma vie vagabonde. Il lui a proposé de me demander d'écrire mon autobiographie . À cette époque, je n'avais publié que des nouvelles et des articles dans les revues beyrouthines et un dossier culturel dans la revue Al-'Ilm. En vérité, j'étais déterminé à publier un livre pour me prouver que j'étais écrivain. Lorsque Paul Bowles m'a demandé d'écrire mon autobiographie, j'ai répondu sans hésiter : ''Mais, je l'ai déjà écrite. Elle est chez moi''. Bien évidemment, je n'avais pas écrit une seule phrase. Mais elle était déjà inscrite dans mon esprit. Je comptais l'écrire après avoir eu un peu de succès littéraire. Comme toute ma vie était bâtie sur des défis, je me suis rendu chez Paul Bowles avec les premiers chapitres rédigés en arabe littéral comme dans l'édition actuelle en arabe. J'ai apporté également d'autres chapitres, à l'exception de quelques révisions que j'ai ajoutées plus tard, lorsque Tahar Ben Jelloun m'a demandé le manuscrit en 1980 pour le traduire en français. Paul Bowles et moi, nous sommes plongés durant au moins deux jours dans la traduction anglaise du premier chapitre tandis que je rédigeais le second chapitre. Je le lui dictais en espagnole qu'il maîtrisait bien, et souvent le français m'était d'un grand secours. Quant au dialecte marocain dont Paul Bowles prétend que c'est à partir de ce dialecte qu'il a traduit mon livre, ce n'est qu'un mensonge. Je ne me souviens pas que nous ayons eu recours au dialecte, seulement pour quelques mots, parce que Paul Bowles ne le connaissait pas et ne l'appréciait guère.

Propos reproduits dans L'autofiction en question : une relecture du roman arabe à travers les œuvres de Mohamed Choukri, Sonallah Ibrahim et Rachid El-Daïf, Darouèche HILALI BACAR, thèse présentée le 15 décembre 2014, Université Lumière Lyon II, p. 265. Ces propos de Choukri ont été publiés initialement dans une revue : « al-Kiyan wa al-makan » [L’existence et le lieu], Alif, Journal of Comparative Poetics, n° 6, Poetics of Place, Spring, 1986, p. 67-78