Automne 2021
Monique nous présente...

Valérie Rouzeau

Sous la présentation, nous réagissons (voir LÀ)
d'une phrase, d'ici la saison suivante...


 

Pour l'automne, j'ai choisi Valérie Rouzeau, pour son écriture, son itinéraire, sa capacité à émouvoir, à amuser, à parler à tous quels que soient son origine, son milieu, son âge... pour sa grande culture aussi.
À l'automne, on pense aux feuilles mortes, aux choses qui passent et aux gens qui s'en vont. Alors j'ai choisi d'elle le recueil
Pas revoir où elle évoque la mort de son père. C'est aussi un des recueils qui l'a fait connaître, qui permet d'apprécier son originalité sans décrocher, car pas aussi expérimental et déroutant que d'autres de ses livres plus récents.
Un texte selon moi ne suffit pas à entrer dans son monde, dans son style. Alors j'ai retenu quelques pages...
Ensuite, j'ai réalisé que c'était la grande traductrice de Sylvia Plath que vous lisez bientôt. Alors je n'ai plus eu d'hésitations...
À la fin des extraits, je vous ai mis quelques liens pour commencer à mieux la connaître... Elle est présente dans toutes les librairies, dans toutes les bibiothèques.


Pas revoir
(extraits)


Toi mourant man au téléphone pernoctera pas voir papa.
Le train foncé sous la pluie dure pas mourir mon père oh steu plaît tends-moi me dépêche d'arriver.
Pas mouranrir désespérir père infinir lever courir -
Main montre l'heure sommes à Vierzon dehors ça tombe des grêlons.
Nous nous loupons ça je l'ignore passant Vierzon que tu es mort en cet horaire.
Pas mourir steu plaît infinir jusqu'au couloir blanc d'infirmières.
Jusqu'à ton lit comme la loco poursuit vers Lyon la Part-Dieu.
Jusqu'à ton front c'est terminé tout le monde dans la petite chambre rien oublier.
(page 13 début du recueil)


Nous n'irons plus aux champignons le brouillard a tout mangé les chèvres blanches et nos paniers.
Nous n'irons pas non plus dans les cités énormes qui sont des baleines grises très bien organisées où nos coeurs se perdraient.
Ni au cinéma ni au cirque, ni au café-concert ni aux courses cyclistes.
Nous n'irons pas nous n'irons plus pas plus que nous n'irons que nous ne rirons pas que nous ne rirons plus que nous ne rirons ronds.
(page 25)


Ce n'est pas toi ce cadavre comme si toi tu aurais tenu en place comme ça comme si tu ne savais plus dire bonjour toi si courtois.
Et si gracieux mon père qu'on te reconnaît au sourire.
Ce n'est toujours pas toi ce visité qui n'offre rien à boire ne dit pas de s'asseoir toi si civil hospitalier pas toi c'est trop mal imité.
(page 53)


Toi pendant ta balade main donnée à maman chèvres belles au loin toi malade.
Toi sur ta terre natale à très petits pas qui font tout drôle.
Toi ta petite voix que couvre celle des chèvres en balaaade toi malaaade disant à maman des mots secrets mots infimes de tendresse grande et comme elle belle
. (page 61)


Ce que devient ton coeur sous les pois de senteur.
Tes mains dures et dorées par les saisons elles changent.
Ton coeur est sous tes mains et toi tout sous les fleurs.
(page 84)


De l'escargot il reste sa coquille, de quoi saisir du ciel avec la pluie venue pour voir dans la coquille.
Ça résiste longtemps sans malice dans le trèfle ou le pissenlit : on regarde le ciel changeant dedans, petit petit.
(page 86)


Mon père qu'on opéra mon opéra mon père fusé dans les nuées.
Père passé sous les azalées dans la terre jaune et noire et bée.
Ce qu'il devient ce que j'en sais mon sentiment dans les allées quand le vent gueule.
(page 88)


J'amène des fleurs.
Elles retiennent toutes les couleurs elles ont de beaux noms de jeunes filles.
Elles sauront rester plantées là des jours entiers.
Maintenant je m'en vais.
Tu avais de beaux yeux mon père mais j'ai à voir ailleurs.
Tu as des fleurs j'ai ton sourire on est quittes
. (page 89)


Les yeux tout sales et les doigts froids ce matin j'ai.
Été mal aimable avec la factrice à vélo dans ma chemise de nuit m'a surprise son coup de sonnette.
Nette à présent débarbouillée dans le soleil j'admire les tulipes finissantes et la pivoine en beaux boutons.
Et la pivoine en beaux boutons qui recommence je n'écrirai plus à mon père dessous la terre comme un oignon.
(page 90)


Ma main là posée sur la table de dehors.
De la même couleur que sa main à mon père.
(page 91 et fin)




Pour en savoir plus sur Valérie Rouzeau
:

ce texte, musical et très érudit, où elle se présente dans Vrouz (page 140)


Aussi je est un hôte d'on ne sait qui ni quoi
Mystère en bout de course comme à la balançoire
La vie assujettit drôlement ses invités
Alors je vante le vent par ma lucarne ouverte
Et je ne confonds pas auspices avec hospices
Rouzeau avec réseau dentiste avec temps triste
Pater avec par terre pleure avec meurs meurs meurs
Tu pisseras moins moins moins
Mon poème ne compte pas davantage
Que la conversation bruyante de mon prochain
M'empêchant de poursuivre par ici sauf
À fermer ma lucarne ou la repeindre en bleu
Appeler ma prochaine
Ou m'écrier au feu.

l'article wikipédia qui la concerne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Val%C3%A9rie_Rouzeau

une vidéo où l'on peut l'entendre :
https://www.museedesconfluences.fr/fr/t%C3%A9lesco-pages-val%C3%A9rie-rouzeau

Bonne découverte à tous !
Monique L Serres

 

Que dire ?

Monique L
A la vue de l’extrait, je me sens un peu ignare (et c’est peu dire !). Comment évoluer sans aide ? Je ne connais que la poésie classique. J’ai lu des poèmes de Sylvia Plath dans Ariel : ils sont pour moi plus accessibles.

Suzanne
Réponse à Voix au chapitre, à Monique en particulier pour cette belle découverte ! Voilà une poésie qui résonne en moi.

Claire, très rétive par principe à la poésie
J'ai lu tranquillement d'une traite et ai été saisie, surprise.

Nathalie B
J'ai été très émue par ses mots qui ont fait écho. J'aime beaucoup.

François
C'est une très belle découverte.

Marie-Odile
Merci pour les extraits de Valérie Rouzeau que je découvre grâce à vous.
Ses mots glissent sur d'autres mots déjà entendus et c'est parfois comme si je lisais deux textes superposés, ou plutôt comme si j'entendais deux énoncés. Par exemple, la chanson de l'enfance "Nous n'irons plus au bois, les lauriers sont coupés" affleure sous le texte poétique "Nous n'irons plus aux champignons, le brouillard a tout mangé les chèvres blanches et nos paniers" car c'est toujours un enfant qui perd son père.
Dans le dernier extrait "Je est un autre" devient "Je est un hôte", "crier au feu" devient "m'écrier au feu". J'adore ce jeu avec les mots qui devient aussi un jeu avec les idées. Magie de la paronymie, émotion aussi.

Ana-Cristina
Je remercie Monique. Les poèmes de Valérie Rouzeau m'ont beaucoup plu. Je n'arrivais pas à les lire sur l'écran, je me suis procuré le livre. Et j'ai bien fait ! Belle découverte.

Annick L
Je viens enfin de prendre le temps de lire ces extraits du recueil... et j'ai été très touchée par le style de cette poètesse. À cause du sujet sans sans doute, qui nous renvoie à nos propres deuils, mais surtout par cette façon d'écrire, d'attraper au vol les impressions, sensations qui surgissent de la mémoire, images bousculées, hachées, dans une sorte de course contre la montre-la mort. Des images très concrètes, très charnelles, qui font ressurgir la figure de ce père bien-aimé J'aime aussi, à la fin, le retour à une forme d'apaisement, d'attention retrouvée à ce qui fait la beauté de la nature et de la vie.
Merci à Monique pour ce partage.

Marie Thé
Lorsque j'ai lu Pas revoir à l'automne, je ne l'ai pas aimé, à cause de la forme. Je l'ai relu aujourd'hui, jour du solstice d'hiver, et je découvre beauté du texte et émotion :
"Nous n' irons plus"...
"Nous ne rirons plus"...
"Ton cœur est sous tes mains
Et toi tout sous les fleurs
"
Mon amie a disparu, je lui ai dit adieu hier...

Chantal
Et pour ma part, cette poésie de septembre, je n'ai pas pu... je la garde pour plus tard... il y a des moments…

 

Les découvertes poétiques de Voix au chapitre